La charité envers notre Seigneur Jésus-Christ dans l’eucharistie

LETTRE PASTORALE DE MONSEIGNEUR COMBES ÉVÊQUE DE CONSTANTINE ET D’HYPPONE

Carême de l’an de grâce 1890. (Tome : 1891, pages 217-226, 289-295)

NOS TRÈS CHERS FRÈRES,

L’an dernier, au début de la sainte Quarantaine, nous vous parlions encore de la charité. Sujet actuel et pressant que nous imposaient nos malheurs. Alors, une partie de la province était la proie d’un horrible fléau, et une population nombreuse, déjà éprouvée par plusieurs mauvaises récoltes, se trouvait réduite à une misère navrante.

Grâce à Dieu, des secours ont été distribués partout où la faim se faisait sentir ; et l’invasion formidable, qui a causé tant de ravages, a presque complètement disparu n’occupant plus, dans les Hauts-Plateaux, que des points rares et isolés, qui n’attendent qu’un dernier effort pour achever sa ruine définitive.

Dans ce moment de calme, comme celui qui succède à la tempête, nous voudrions, par reconnaissance, remonter jusqu’à l’Auteur de la charité et vous exhorter à remplir envers Celui qui réside parmi nous, les devoirs qu’ils nous a recommandés avec tant d’instance envers les pauvres.

Celui par qui tout a été créé, le seul puissant, le souverain Maître ; celui qui est notre Dieu et qui n’a nul besoin de nos biens ; celui qui est riche de sa nature a voulu, pour nous, devenir pauvre. Suivez-le dans le cours de son existence humaine : la grotte de Bethléem ; à l’atelier de Nazareth ; dans sa vie publique partout, vous le rencontrez avec sa compagne inséparable, la pauvreté.

Il veut vivre du travail de ses mains ou de dons volontaires ; il déclare n’avoir pas une pierre pour reposer sa tête ; il demande l’hospitalité à Zachée ; il accepte les soins d’une famille de Béthanie. A sa mort, il sera déposé dans un sépulcre emprunté, et les draps dans lesquels son saint Corps sera enseveli, les parfums desquels il sera embaumé, seront les dernières aumônes de ses amis.

Pauvre durant les trente-trois années passées dans la Judée et acceptant et sollicitant l’assistance de ses créatures, Jésus veut continuer d’être pauvre dans sa vie eucharistique.

Approchez de l’autel et voyez les espèces sacramentelles rappelant les langes de la crèche ; le tabernacle renferme autant de silence et de solitude que le toit de Nazareth ; au saint Sacrifice, l’adorable Victime manifeste la même patience qu’au prétoire, la même obéissance qu’à la croix, le même oubli de la gloire divine et le même anéantissement qu’au tombeau.

Cet état nous impose des devoirs, devoirs que le divin Maître a pris soin de tracer lui-même.

« J’étais sans abri et vous m’avez recueilli ;
J’étais sans vêtement et vous m’avez revêtu ;
J’étais emprisonné et vous m’avez visité ;
J’avais soif et vous m’avez donné à boire »
(Mt 25, 35).

Que d’œuvres de miséricorde ! Pour en comprendre l’importance, la nécessité, il suffit de se rappeler, comme l’enseigne l’Église, « que, dans l’Eucharistie, Jésus-Christ a droit aux mêmes honneurs qu’autrefois à Bethléem et dans ses courses évangéliques à travers la Judée, lorsque l’adoraient les anges, les bergers, les mages et les disciples ». (Concile de Trente, Session XIII, 5)

Assurément, vous vous seriez estimés honorés et heureux, aux jours de sa vie mortelle, de pouvoir le vêtir, le nourrir ; vous auriez envié le sort des familles hospitalières, qui lui prodiguaient leurs soins.

Vous auriez voulu compter au nombre des personnes généreuses qui l’assistaient de leurs biens. Réjouissez-vous dès maintenant : vous pouvez vous procurer cette joie et cet honneur. Pensée consolante, obligation délicieuse que nous allons exposer en quelques considérations simples et pratiques.

I.  « J’étais sans abri et vous m’avez recueilli »

A cet auguste Voyageur, à ce céleste Pèlerin, les premiers chrétiens offraient un asile en transformant une partie de leur demeure en oratoire. C’était, au souvenir de la Cène, un nouveau Cénacle pour recevoir l’hôte divin.

Cet usage de l’Église primitive, il nous semble le retrouver encore dans nos tournées pastorales, à travers les nombreux villages peuplés par les dernières immigrations. Que s’y passe-t-il, en effet ? Un missionnaire est envoyé en précurseur : il doit préparer les âmes aux sacrements d’Eucharistie et de Confirmation et se mettre en quête d’un local pour recevoir Jésus-Christ. Il a découvert une habitation hospitalière : c’est la maison d’un colon, d’une famille chrétienne. A cette famille bénie, le Sauveur redit par la voix de son prêtre « Aujourd’hui j’irai loger chez toi » (Lc 19, 5). Il s’agit maintenant de donner à cet asile un air de chapelle.

Les uns apportent de la verdure et des fleurs, les autres quelques ornements de leur foyer, des images, des tableaux encadrant des sujets religieux ; ceux-ci fournissent le luminaire, ceux-là donnent leurs bras et leur temps pour tresser des guirlandes et dissimuler sous le feuillage la nudité des murs. Enfin, le jour attendu s’est levé radieux. L’office commence dès l’arrivée du premier pasteur ; des chants où se mêlent toutes les voix, rappellent les anciens et touchants cantiques de la mère-patrie.

Déjà la communion est distribuée, la messe touche à sa fin et Jésus va quitter ce refuge, comme le voyageur quitte l’hôtellerie où il s’est arrêté quelques heures. Heureuse bourgade qui eut l’insigne privilège de posséder le Sauveur à son passage et de pratiquer la charité recommandée : « J’étais sans abri et vous m’avez accueilli ! »

Et le diocèse pourrait fournir une longue liste de colonies, où, faute de chapelle, nos chrétiens sont invités à exercer, dans ces conditions, l’hospitalité envers leur Dieu.

En ce moment, ma pensée parcourt le territoire de cette vaste province : de la vallée de l’Oued-Sahel au plateau de la Medjana, des gorges du Châbet à la ville de Sétif, de Djemila à Constantine, du mamelon d’Hippone aux premières montagnes de la Tunisie, que de noms chers à mon cœur ! Dans la plupart de ces villages, c’est pareille situation au point de vue religieux. Le prêtre appelé à les desservir, comme l’apôtre envoyé pour les évangéliser, arrive sans savoir où il pourra découvrir un gîte, ni sous quel toit il lui sera possible de dresser un autel.

Lorsque les colons sont venus planter leurs tentes dans cette nouvelle France, apportant leurs petites économies, leurs forces, leurs connaissances agricoles, leurs sueurs, leur patriotisme, ils espéraient retrouver sur le sol qu’ils allaient défricher les consolations de la religion et la facilité d’élever leur famille dans la foi de leurs pères. Ne seraient-ils pas en droit de réclamer un local, au moins décent, pour s’y réunir et prier le dimanche ? Qu’ils joignent leurs instances aux nôtres et l’on saura procurer des ressources pour donner satisfaction à un vœu si légitime et si honorable.

Dans notre Algérie, les ruines chrétiennes qui nous restent témoignent de la pieuse munificence des premiers siècles. PIusieurs églises étaient des demeures royales, des basiliques, où les rois de la terre avaient rendu la justice et où le Roi des rois était descendu pour rendre la miséricorde. Je ne demande pas de ces palais royaux. Toutefois, je ne manquerai à un devoir sacré de ma charge pastorale, si j’étais sans préoccupation pour la demeure de mon Maître.

Mais soyons justes et reconnaissants. Si, dans les centres de formation relativement récents, Jésus n’a pas un abri, ou si la demeure qui lui est réservée est telle qu’on la reconnaît à sa misère « Ceci vous servira de signe : vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche (Lc 2, 11) », disons que nombre de localités possèdent des édifices qui sont un honneur pour notre patrie, la fille aînée de l’Église.

Ah ! ce n’est pas petite satisfaction, sur notre terre africaine, d’apercevoir au sommet d’un rocher ou d’une tour, la croix, s’élevant vers les cieux pour proclamer bien haut que cette région a été conquise à son premier Seigneur ! Ce n’est pas petite satisfaction de la voir étendant ses bras comme pour ramener à elle ce peuple, qui lui a été violemment arraché, et qui jadis marchait et prospérait sous son égide ! Et, même dans ces heureuses paroisses, que d’occasions, au zèle, de se dévouer utilement et saintement pour entretenir « la beauté de la maison de Dieu ! »

Cette maison, ne serait-elle pas aussi la vôtre ? N’est-ce pas là que vos enfants ont été régénérés dans les eaux du Baptême ? là qu’ils ont été instruits de la doctrine céleste, cette doctrine qui a éclairé, relevé le monde et qui seule peut guider et sauver les individus et les familles ? N’est-ce pas là que, purs comme des anges, ils ont reçu leur Créateur pour la première fois ? N’est-ce pas là que vous venez vous-mêmes recevoir le Pain des forts, pour être victorieux dans les luttes de la vie ? N’est-ce pas de là que partira votre Sauveur pour aller vous visiter à votre agonie et vous assister au terrible et décisif passage du temps à l’éternité ? N’est-ce pas là que votre dépouille mortelle sera transportée pour les dernières prières et les dernières bénédictions ? N’est-ce pas là qu’après votre départ de ce monde, le sang de la victime sera répandu pour vous et votre mémoire rappelée au mémento de la messe ?

Oui, la maison de Dieu est aussi votre maison, et le zèle que je vous prêche n’est pas, vous le voyez, complètement désintéressé. Cette considération nous amène à vous entretenir d’une charité à laquelle le Divin Maître nous convie par ces paroles : « j’étais sans vêtement et vous m’avez revêtu ».

II.  « j’étais sans vêtement et vous m’avez revêtu ».

L’Eucharistie, selon la pensée des saints Pères, est une extension de l’Incarnation. Aussi, Jésus, sur l’autel, prend-il comme une seconde naissance. « O respectable et redoutable dignité des prêtres, crie saint Augustin, puisque c’est par leur ministère et dans leurs mains que le Fils de Dieu vient s’incarner ».

Là, comme à Bethléem, il est bien le Dieu caché. « Vraiment tu es un Dieu caché » (Is 45, 15). A Bethléem, ce Dieu sauveur cachait sa divinité sous les voiles de son humanité. Dans ses temples, il cache et sa divinité et son humanité sous les voiles eucharistiques.

Lorsque le saint sacrifice est offert, un des anges qui environnent l’autel pourrait, comme aux bergers, nous dire :

« Je vous annonce une grande nouvelle : aujourd’hui vous est né le Sauveur » (Lc 2, 11). Sa naissance, Marie l’enveloppa de langes. A sa naissance eucharistique, il faut aussi des langes pour recevoir son corps adorable. Dans l’Eucharistie se révèle plus d’amour que dans l’incarnation ; sur l’autel, son corps est plus frêle que dans la crèche. Ne devrions-nous pas entourer ici son berceau et de plus de soins et de plus de tendresse ! « J’étais sans vêtement et vous m’avez revêtu ».

Vous savez pourquoi Jésus vient, à la voix du prêtre, s’incarner de nouveau sur l’autel ? Le moment solennel est arrivé : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ». La parole est le glaive qui sépare mystiquement le corps et le sang de Jésus-Christ, et cette séparation « enferme une vive et efficace représentation de sa mort violente soufferte sur la croix » (Bossuet). Sous cette figure de mort, en cet état d’hostie, nous l’offrons à la majesté divine : et, par ce sacrifice qui remet devant Dieu le Père le supplice que son Fils a souffert pour nous, nous obtenons toute grâce et rendons toute gloire.

Pour la victime de l’autel, ayons l’empressement des premiers fidèles pour la victime du Calvaire ! Joseph d’Arimathie avait acheté un linceul blanc et les saintes femmes se hâtaient, portant des aromates et des parfums. Le corps du Sauveur, nous venons de le rappeler, a droit au même respect, aux mêmes marques d’honneur. Le linge qui, à l’autel, sert à le recevoir et à l’envelopper, le corporal est son suaire. Autour de son nouveau calvaire, la cire se consume, épandant ses douces clartés, et l’encens l’enveloppe de nuages de parfums.

Il se trouvera toujours parmi vous, espérons-le, de généreux imitateurs des premiers disciples, dont la piété assurera le nécessaire au sacrifice de Jésus-Christ institué pour représenter celui qu’il a une fois accompli sur la croix ; pour en faire durer la mémoire jusqu’à la fin des siècles et nous en appliquer la vertu salutaire. « J’étais sans vêtement et vous m’avez revêtu ».

Au saint sacrifice, Notre-Seigneur est le ministre principal. Comme il s’est lui-même offert sur la croix et a la Cène, il veut s’offrir, par le ministère de son représentant, à l’autel. Là, selon l’expression de saint Augustin, « il est médiateur, prêtre et sacrifice ». Prêtre : par conséquent, revêtir le célébrant, c’est revêtir Jésus-Christ.

Cette vérité a donné, dans tous les siècles, à de nobles et pieuses chrétiennes la pensée de s’appliquer elles-mêmes à la confection des ornements sacerdotaux et de vêtir, dans la personne de ses ministres, le Dieu qui daigne s’immoler sur nos autels. Glorieuse charité qui était justement considérée comme première de toutes, parce qu’elle s’adressait au Fils de Dieu.

Je ne crois pas trop présumer de la piété de mes chers diocésains, en gardant la confiance que ces dévouements refleuriront sur la terre d’Hippone. Plus que jamais je les estime nécessaires, à cause de la pénurie des ressources de nos Fabriques paroissiales.

Mais les pauvres ! Il y en a tant qui auraient besoin d’être nourris, vêtus, abrités ! C’est ce qu’on alléguait, au temps du Sauveur, lorsqu’une illustre pénitente vint répandre à ses pieds un vase de parfum précieux. A quoi bon, se disaient entre eux les disciples, la perte de ce parfum ! On pouvait le vendre plus de trois cents deniers et les donner aux indigents » (Mc 14, 4-5). Et le divin Maître, prenant la défense de cette pieuse profusion, approuve l’action de cette femme et déclare qu’on la loura partout où l’Évangile sera prêché.

Les pauvres ! Soyez rassurés sur leur sort : ce ne sont pas les aumônes faites au divin Pauvre qui pourront nuire. Plus vive sera la dévotion à Jésus au Saint Sacrement, plus généreuse sera la charité pour les malheureux. N’est-ce pas Jésus qui retient pour faite à lui la bienfaisance exercée à leur égard et comme étant obligé lui-même pour le bienfait reçu ? N’est-ce pas Jésus qui a élevé les pauvres à une dignité si éminente que, sans la lumière de la doctrine céleste, on ne pourrait pas même la concevoir ? N’est-ce pas Jésus qui a créé les dévouements qui subviennent à toutes les misères, non seulement avec une maternelle piété, mais aussi avec une prudence et une vigilance extrême ?

Il y a des pauvres parmi nous et il y en aura toujours. Mais c’est leur cause que je plaide, et la charité, qui est née du cœur de Jésus, ne peut s’entretenir et se développer que par la foi et l’amour à Jésus dans l’Eucharistie. Cette pensée, je suis heureux de la relire dans une instruction pastorale d’un de mes vénérables prédécesseurs : « Contribuer à la décoration de nos saints autels et soulager la misère de nos frères indigents sont deux œuvres intimement liées, qui se prêtent un mutuel concours. Elles ont le même objet qui est Jésus-Christ : l’une dans son corps réel, l’autre dans son corps mystique. Aussi, plus vous aurez de zèle à l’honorer dans la sainte Eucharistie, plus vous vous dévouerez à son service dans la personne des pauvres ».

III.  « j’étais prisonnier et vous êtes venus à moi ».

Près de Jérusalem, et seulement séparé de la Cité Sainte par le mont des Oliviers, est situé le village de Béthanie. Dans cette bourgade, vivait une famille que Jésus aimait : Lazare avec ses deux sœurs, Marthe et Marie. C’était là que, de préférence, le Sauveur venait se reposer des fatigues de sa prédication et des douloureuses perspectives de l’avenir.

Marthe s’empressait surtout aux soins du service, à ce que rien ne manquât. Marie, plus calme, était assise aux pieds de Jésus, écoutant sa parole et buvant aux sources de la vie. Celle-là représente les œuvres corporelles de miséricorde ; celle-ci les œuvres spirituelles. Nous venons d’entrevoir la part de Marthe ; considérons, durant quelques instants, la part de Marie. Assurément c’est « la meilleure part ».

« O Seigneur, qu’aimables sont vos tabernacles ! Heureux ceux qui habitent votre demeure ! Un jour passé près de vous vaut mieux que des années dans les fêtes et les divertissements du monde ! » A ce bonheur Jésus nous invite ; il nous attend, retenu dans son tabernacle par des liens indissolubles qu’a tressés son amour infini : « j’étais prisonnier et vous êtes venus à moi ».

Le pauvre garde dans son infortune un bien inaliénable : l’indépendance. Ce bien, pour nous Jésus a voulu le perdre. Celui qui a soulevé la pierre du sépulcre ; Celui qui pénétrait dans le cénacle les portes closes ; Celui qui, à  la vue de ses disciples, s’élevait triomphant aux cieux, a voulu se constituer prisonnier et s’enchaîner au tabernacle, comme dans une étroite cellule : « j’étais prisonnier ».

Pour arriver jusque-là, quel trajet n’a-t-il pas parcouru ! Parti des splendeurs des cieux, il est descendu dans les humiliations de Bethléem, il a passé par les tortures du Golgotha ; il est parvenu enfin à cette dernière station, la captivité volontaire et amoureuse du tabernacle : « j’étais prisonnier ».

C’est là qu’il veut rester, « chaque jour, jusqu’à la consommation des siècles » ? À qui donc serait admis à parler de ses fatigues pour aller jusqu’à Lui ? Qui donc hésiterait de sortir de sa demeure et compterait ses pas ? Qui donc prétexterait de la multiplicité de ses affaires pour refuser une minute de son temps au divin Captif ?

Allons à Lui ; il nous appelle tous : les enfants dont il aimait à s’entourer et qu’il défendait contre le zèle intempestif de ses apôtres ; les pauvres qu’il a évangélisés avec un empressement et une prédilection marqués, rappelant qu’il était surtout envoyé pour eux ; ceux qui travaillent, ceux qui gémissent sous le poids du labeur et de la souffrance.

Et c’est à toute heure que nous pouvons aller le visiter. Il n’y a pas à solliciter une audience ni à se faire annoncer. Il nous attend, et il lui tarde de nous accueillir comme on accueille un ami. Lorsque les foules de la Galilée accouraient au Sauveur, on lui présentait les malades, les infirmes, et il les guérissait. Sa puissance et sa bonté auraient-elles diminué ? Oh non, dans son Sacrement, il est tout lui-même ; il est là souverainement bon et souverainement puissant ; il est là l’Auteur de la grâce, disposé à la répandre autour de lui ; disposé à rendre la santé de l’âme à ceux qui l’auraient perdue, à fortifier les faibles, à encourager les forts ; car « il est venu pour que nous ayons la vie et la vie en abondance » (Jn 10, 10)

Si sa puissance et les miséricordes de notre Dieu n’ont pas diminué, nos infirmités et nos besoins, ne sont-ils pas toujours les mêmes ? La vie est bien pour tous une lutte, un sacrifice, une douleur. Pour lutter et pour vaincre, pour souffrir et s’immoler, ne faut-il pas courage, patience, abnégation, force supérieure à notre nature !

Et d’où attendre le secours ? où puiser une énergie surhumaine ? auprès de qui recevoir des consolations ? Tournons nos regards et nos cœurs vers le tabernacle ; notre Dieu s’y tient enchaîné pour nous : « j’étais prisonnier et vous êtes venus à moi ».

Mais allant à lui, n’oublions pas de le toucher sur nos maux, comme cette femme de Césarée dont parle l’Évangile. Malade depuis douze ans, elle avait, au prix de ses biens, épuisé sans résultat, tous les secrets de la science, et ne gardait plus d’espoir qu’en Jésus. Remplie de foi et éclairée par une lumière surnaturelle, elle suivait le Sauveur, perdue dans la foule qui l’entourait.

N’osant l’aborder en face ni lui rien demander, elle se disait : « Que je puisse seulement toucher la frange de son manteau, je serai guérie » Elle y parvint et se sentit soudain délivrée. Soudain aussi le Seigneur demanda qui avait touché son vêtement. Et comme tous s’en défendaient, Pierre lui dit : « Maître, la foule vous presse et vous accable, et vous demandez qui vous a touché ? » « Mais Jésus, continuant de regarder dans la foule, reprit « Quelqu’un m’a touché, car une force est sortie de moi ».

Qui m’a touché ? c’est-à-dire par la foi. Ces foules qui me pressent ne me touchent pas. La femme, effrayée, se prosterne, avouant ce qu’elle avait fait. Jésus lui dit : « Ma fille, prends confiance, ta foi t’a guérie, va en paix ». Elle est devenue sa fille, lorsqu’elle a eu la foi c’est sa foi qui l’a guérie. Jésus lui a demandé cet aveu pour nous donner cette parole et pour que notre âme l’entendît.

C’est dans ce sentiment que nous devons aller à Jésus et le toucher sur nos infirmités. Approchons-nous donc de lui avec confiance ; et soyons assurés que de son tabernacle sortira la force salutaire et la grâce dont nous avons besoin « Avançons-nous avec assurance vers le trône de la grâce afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce pour une aide opportune ». (Hb 4, 16)

IV.  « J’ai eu soif et vous m’avez donné à boire »

A l’égard de Jésus dans l’Eucharistie, il nous reste encore un devoir à remplir : « J’ai eu soif et vous m’avez donné à boire » Sur la croix, il était consumé de cette divine ardeur quand de sa bouche mourante s’échappait le cri qui demandait à Dieu nos âmes « J’ai soif ».

Cette soif ardente n’est pas éteinte au tabernacle et nous sommes appelés à l’étancher. Comment refuser nos âmes à un Dieu si incroyablement prodigue de lui-même ! La veille de sa Passion, Jésus, avec ses apôtres, était à Jérusalem, dans le Cénacle, qu’il avait fait préparer pour la Pâque « qu’il désirait ardemment de manger, avant que de souffrir ». Or, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin, jusqu’à l’excès, en instituant l’Eucharistie, qui est le don de sa personne et de sa vie, au-delà de la mort.

Répondons à ce prodige d’amour d’un Dieu se donnant à chacun de nous, par le don de chacun de nous à notre Dieu. Donnons-lui notre cœur malgré les résistances de l’amour-propre ; donnons-lui notre volonté en la pliant à ses préceptes ; donnons-lui notre intelligence en la faisant penser sa doctrine ; donnons-lui toutes les puissances de notre être en les soumettant à son service, à la défense de ses intérêts et de sa gloire ; donnons de nos biens pour le secourir dans sa divine pauvreté. Comprenons dans nos largesses ceux qu’il ne sépare jamais de Lui, les pauvres ; donnons de nos prières, de nos larmes, de nos pénitences pour le soulagement de la misère suprême, la misère de l’âme privée du Souverain bien, privée de son Dieu, la misère des pauvres pécheurs. Ah, c’est là une de nos plus graves obligations. « J’ai eu soif et vous m’avez donné à boire »

Cette soif, Seigneur quelle est-elle ? demande saint Augustin : votre soif est notre salut. En effet, si le Sauveur a supporté volontairement tant d’humiliations, s’il a enduré tant de tortures, s’il a versé son sang au prétoire et au Calvaire, c’est pour notre salut. Si, non content de s’être incarné, d’avoir revêtu notre chair, il continue son incarnation par l’Eucharistie ; si, par ce mystère, il prend chair en chacun de nous ; si non content de s’être immolé sur la croix, il vient renouveler son immolation sur l’autel ; s’il vient nous nourrir de lui-même et, par la Communion, nous rendre participants à tout ce qu’il est dans son humanité comme dans sa divinité, c’est pour achever en chacun de nous l’œuvre de notre salut.

Mais, hélas combien dans notre société ne paraissent pas même s’en douter ? Combien méconnaissent la dignité, la noblesse de leur origine, de leur baptême ! Combien n’ont plus souvenance des joies et des promesses de leur première communion ! Combien, dans une vie toute païenne, perdent et profanent le sang de leur Rédempteur ? Combien qui, par légèreté dans le lieu saint, sont un objet de scandale ? Combien, par leurs actes, leurs paroles et leurs écrits, travaillent à la perdition des âmes ? De l’autel comme de la croix, Jésus voit cette indifférence, ces égarements, ces scandales, ces apostasies, et entend ces blasphèmes.

Un jour que la Bienheureuse Marguerite-Marie de la Visitation s’entretenait avec son céleste Époux au Saint Sacrement, Jésus lui montra son cœur couronné d’épines et surmonté d’une croix, et lui parla ainsi : « Voici ce cœur qui a tant aimé les hommes qu’il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser pour leur témoigner son amour. Mais en reconnaissance, je ne reçois de la plupart qu’ingratitude, irrévérences, sacrilèges, froideurs dans ce sacrement d’amour ».

Ces ingratitudes, nous les voyons ; ces outrages ; nous les entendons nous aussi : comment ne pas en être émus ! Lorsqu’on fait visite à un pauvre, il n’y a pas que des secours matériels à laisser dans sa demeure : il y a aussi des témoignages de sympathie ; c’est ce que le divin Pauvre attend de nous : « J’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ». Oh ! nous ne serons pas insensibles à sa douleur, sourds à son appel. Jésus n’en sera pas réduit à dire avec le Prophète royal : « J’ai attendu que quelqu’un compatisse à ma peine, mais nul ne l’a fait ; j’ai attendu que quelqu’un vienne me consoler, et personne ne s’est présenté » (Ps 68, 25).

Non, Seigneur Jésus, tout ce que vous ressentez, nous le ressentons ; vos douleurs nous seront personnelles, vos opprobres retomberont sur nous. Près de votre autel, nous voulons réparer les outrages de l’impiété qui blasphèment ; les outrages du respect humain qui vous abandonne, feignant de ne plus vous connaître ; les outrages de l’indifférence et du sensualisme vivant comme s’il n’y avait pas de Rédemption, et comme si toute notre destinée se bornait à l’horizon de cette terre.

La tradition nous montre sur le chemin du Calvaire une femme courageuse et reconnaissante, tenant en main le linge qui a essuyé la face ensanglantée du Sauveur. A l’exemple de Véronique, nous voulons essuyer tous ces outrages, réparer toutes ces offenses. Ce devoir, vous ne manquerez pas de le remplir surtout à la fête de l’Adoration Perpétuelle.

En ce jour, une paroisse est solennellement députée devant Notre-Seigneur pour accomplir, au nom du diocèse, un grand acte de réparation. Puissions-nous toujours apprendre que les cœurs qui lui sont demeurés fidèles ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour le louer et le glorifier.

Qu’ils lui chantent tous les cantiques que lui chante dans l’Apocalypse le peuple racheté : « L’Agneau, qui a été immolé pour nous, est digne de recevoir la puissance, la divinité, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire, la  bénédiction » (Ap 5, 12) ; et puisse se réaliser ce que l’apôtre ajoute : « J’entendis toutes les créatures… qui disaient : à celui qui est assis sur le trône, et à l’Agneau, honneur, gloire et puissance dans les siècles ! » (Ap 12, 13).

CLÉMENT, Évêque de Constantine et d’Hippone.

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