Mgr Luis Antonio G. Tagle, S.T.D., évêque de Imus, Philippines (Québec, jeudi 19 juin 2008)
49e Congrès Eucharistique Internazional Québec (Canada) du 15 au 22 juin 2008
Bonjour !
Je vous apporte les chaleureuses salutations de l’Église des Philippines.
Nous sommes arrivés à cette partie du Congrès qui est consacrée à notre réflexion sur la vie du Christ dans nos vies. Ceci correspond très bien au chapitre IV du Document théologique de base. Ces derniers jours, nous avons affirmé que l’Église vit par le don de la vie du Christ. Cette partie très essentielle de notre foi se vit de façon très unique et spéciale dans l’Eucharistie où l’Église reçoit la vie du Christ pour qu’elle devienne sa propre vie. Quel mystère merveilleux que de vivre de la vie du Christ! Ce n’est pas seulement nos vies que nous vivons mais c’est la vie du Christ qui se poursuit. La mission de Jésus est de donner sa vie pour que d’autres puissent vivre. En Jean 6, 51, Jésus dit : « Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel . Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai c’est ma chair pour la vie du monde. » Jésus, le pain de vie, est un don du Père, un don qui nous vient du ciel. Ceux qui mangent de ce pain, qui reçoivent Jésus dans leur vie, dans leur personne même, auront la vie. Jésus va donner sa vie pour que d’autres aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. À chaque Eucharistie, nous proclamons : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point mais qu’il ait la vie éternelle (Jean 3, 16). Étant donné que la vie du Christ est toujours orientée vers les autres, l’Église doit partager cette vie avec le monde. La vie du Christ est le don à l’Église qui doit être le don de l’Église au monde.
Donc, dans l’Eucharistie, non seulement nous recevons la vie du Christ, mais ce don précieux nous pousse à louer et adorer le Dieu trinitaire, le Père, le Fils et le Saint Esprit. Enfin l’Eucharistie ne manque pas de faire naître, dans les coeurs reconnaissants, la louange et l’adoration que Dieu mérite mais, dans notre culte et notre adoration, nous nous rendons compte que c’est Jésus qui nous guide vers le véritable culte et adoration. Donc nous allons traiter ces deux éléments de la vie de l’Eucharistie, un culte spirituel et une adoration authentique.
Ma catéchèse, aujourd’hui, se composera de trois volets. Premièrement, je vais faire une description du sacrifice de Jésus; deuxièmement, je vais parler du culte spirituel de l’Église des baptisés et, troisièmement, j’apporterai quelques réflexions sur l’adoration authentique.
Le sacrifice de Jésus Christ
Dans cette première partie du culte du sacrifice du Christ, la tradition catholique se réfère à l’Eucharistie comme le sacrement du sacrifice de Jésus. Dans la tradition judaïque, l’offrande des sacrifices rituels occupait une place centrale dans le culte du peuple de Dieu. Aujourd’hui, nous nous demandons : Est-ce que le sacrifice de Jésus n’était point différent des autres sacrifices faits au temple comme, par exemple, le sang des animaux ou les offrandes brûlées? Qu’est-ce qui a constitué précisément ce sacrifice de Jésus? Le temps est venu de vraiment considérer le culte unique de Jésus qui est contenu dans son sacrifice unique. Pour cela, tournons-nous vers la lettre aux Hébreux. Dans 7, 27, on dit : « Il n’a pas besoin comme les autres grands-prêtres d’offrir chaque jour des sacrifices d’abord pour ses propres péchés, ensuite pour ceux du peuple. Cela il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même.» Il s’est offert lui-même. Dans Hébreux 9, 12, on nous dit : « Il est entré une fois pour toutes dans le lieu très saint, non avec le sang des boucs et des veaux, mais avec son propre sang ayant obtenu ainsi la rédemption éternelle. » Jésus a offert son propre sang, sa propre vie, non pas la vie de n’importe quel animal ou n’importe quel substitut. Plus tard, on dit, en 10, 10 : « C’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés par l’offrande du corps de Jésus Christ, faite une fois pour toutes. » Le sacrifice du Christ consiste donc à offrir son corps, son sang et sa vie. Le point culminant de ce sacrifice c’est cette offrande de lui-même qu’il fait sur la croix et qui arrive à sa plénitude dans le Saint Sanctuaire ou dans sa glorification en présence du Père. Donc, mes frères et soeurs, nous sommes allés bien au-delà d’un pur sacrifice rituel, nous sommes passé au sacrifice vivant que Jésus Christ a donné lui-même par amour. En fait le culte de Jésus atteint son point culminant dans l’abandon de son humanité et dans son entrée en présence de Dieu pour la vie du monde.
À ce moment-ci, nous porterons notre attention sur la question du comment cette offrande de Jésus lui-même devient un véritable culte et sacrifice. Beaucoup de gens s’offrent eux-mêmes à quelque chose, à quelqu’un, mais est-ce que cette offrande de soi-même est toujours un sacrifice? Nous connaissons des gens qui s’offrent, qui se donnent complètement comme des parents, des enseignants, des professionnels et même des criminels. Mais est-ce qu’on peut qualifier tout cela comme un culte sacrificiel? Donc, nous nous posons la question : Comment est-ce que Jésus, en offrant son corps, son sang, acquiert précisément cette qualité de sacrifice authentique?
Et la lettre aux Hébreux nous donne encore deux éléments de ce sacrifice de Jésus. Premièrement, dans He 5, 7-8, « Au cours de sa vie terrestre, Jésus a offert prières et supplications avec des cris et des larmes à celui qui était capable de le sauver de la mort et il a été exaucé en raison de sa soumission et, même s’il était le fils, il a appris l’obéissance par ses souffrances. » Ceci c’est le premier aspect qui fait de cette offrande de soi-même un acte de culte, surtout son obéissance ou sa grande soumission au Père qui voulait que les peuples soient sauvés et glorifiés. Donc rappelons-nous ici que si cette offrande de soi-même est motivée par le désir de se prouver soi-même, d’atteindre un succès, de promouvoir ses ambitions ou ses intérêts, alors là cette offrande n’est plus sacrifice. Le véritable sacrifice de louange qui se fait dans le don total de soi doit être similaire à ce que Jésus a fait. Le sacrifice de Jésus n’était pas centré sur lui-même ou ses intentions, mais plutôt c’était sa réponse obéissante au Père qui l’a envoyé. Or la réalisation de cette volonté de salut, le Père l’accueille avec plaisir plus que n’importe quel autre sacrifice puisque cette obéissance à Dieu est vraiment un don de soi. C’est le premier élément du culte de Jésus dans son sacrifice.
Deuxièmement, cette louange inclut sa solidarité avec les pécheurs faibles. En He 4, 15-16, on dit : « Ainsi puisque nous avons un grand prêtre éminent qui a traversé les cieux, Jésus, le Fils de Dieu, tenons ferme la foi que nous professons. Car nous n’avons pas un grand prêtre qui ne puisse compatir à nos faiblesses. Au contraire, il a été tenté comme nous en toute chose sans commettre le péché. Approchons-nous donc avec assurance du trône de la grâce afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce pour être secourus dans nos besoins. » En fait, cette unicité de Jésus avec l’humanité faible était extrêmement importante pour son sacrifice au nom de son peuple. He 2, 17-18 le dit avec éloquence : « En conséquence, il a dû être rendu semblable en toute chose à ses frères afin de devenir un grand prêtre miséricordieux en même temps qu’accessible auprès de Dieu pour effacer les péchés du peuple. Étant donné que lui-même avait été éprouvé par ce qu’il a souffert, il peut secourir ceux qui sont éprouvés. » Chers frères et soeurs, ici, vous avez l’image d’un service sacerdotal où le culte est appliqué à la mission rédemptrice de Jésus. Sa façon d’embrasser toutes les souffrances des êtres humains l’a fait un frère qui peut maintenant intercéder véritablement pour eux la miséricorde du Père au lieu d’aimer juger avec sévérité. Sa supplication à Dieu vient de sa compassion pour tous les pécheurs. En d’autres mots, la prière de Jésus au Père donne une voix aux lamentations de l’humanité, des espérances qu’il a considérées comme étant les siennes.
En résumé, nous pouvons dire que le culte de Jésus et le sacrifice de sa propre vie offerte pour réaliser la volonté du Père de sauver les pécheurs, dont il partage les faiblesses, a pour but de les conduire à la miséricorde d’un grand prêtre compatissant. L’obéissance à Dieu et l’action compatissante en faveur des pécheurs forment vraiment un seul acte dans le sacrifice de Jésus. Ces deux aspects ne peuvent pas être séparés l’un de l’autre. Je ne peux pas dire je vais me concentrer sur l’obéissance et non pas sur la compassion. Je ne peux pas dire, non plus, je vais me concentrer surtout sur la compassion, mais non pas sur l’obéissance. Ces deux éléments deviennent un dans cet acte unique du sacrifice. Finalement, nous voyons dans le culte de Jésus son incarnation des commandements principaux comme aimer Dieu de tout son être et aimer son prochain comme soi-même. Chaque fois que nous nous approchons de l’Eucharistie, Jésus renouvelle son sacrifice unique et nous invite à partager son culte de l’offrande de soi en obéissance au Père et en compassion pour l’humanité pécheresse.
Le culte spirituel du baptisé
Je passe maintenant à la deuxième partie de ma communication qui est consacrée au culte spirituel des baptisés. Dans le baptême, nous avons commencé à partager, avoir part, au sacrifice de Jésus, ce sacrifice d’obéissance au Père en solidarité avec les pécheurs. Le baptême nous unit à la mort sacrificielle de Jésus et à la nouveauté de sa vie. Saint Paul nous dit dans l’épître aux Romains 6, 3-4 : « Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés? Par conséquent, nous avons été enseveli avec lui par le baptême dans sa mort pour que, de même que le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous puissions nous aussi mener une vie nouvelle. » En union avec le Christ, dans la puissance de l’Esprit Saint, nous sommes, nous, les baptisés, habilités à offrir notre vie pour Dieu et cela comprend le fait de mourir au péché. L’obéissance à Dieu comprend la mort au péché. La renonciation au péché et la foi en Dieu forment le culte et le sacrifice fondamentaux des baptisés qui sont rendus possibles par le fait que nous avons part au sacrifice et au culte de Jésus. Dans cette perspective, nous pouvons comprendre ce que dit saint Paul au chapitre 12,1 des Romains: « Je vous exhorte donc, mes frères et soeurs, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu, ce sera là votre culte spirituel. » Par conséquent, comme Jésus, nous allons offrir un sacrifice vivant, non pas une immolation de boeufs, de chèvres, ou de céréales, mais le sacrifice de nos vies consacrées à Dieu. Ce sacrifice vivant, uni au sacrifice du Christ, construit aussi la communauté chrétienne. La première lettre de Pierre, chapitre 2, verset 4, dit : « Venez à lui, la pierre vivante, qui, même si elle a été rejetée par les mortels, a été choisie et précieuse aux yeux de Dieu et, telles des pierres vivantes, laissez-vous édifier pour former un temple spirituel créé, un sacerdoce saint qui offrira un sacrifice spirituel agréable à Dieu. »
Il est évident, mes amis, que le sacrifice vivant des baptisés comporte des conséquences éthiques. Saint Paul nous dit, dans la même lettre, que le fait d’offrir nos corps en sacrifice vivant ne pourra se faire que si nous ne sommes plus conformes à ce monde, mais si nous sommes transformés par le renouveau de nos esprits de manière à pouvoir discerner la volonté de Dieu, ce qui est bon et acceptable et parfait. La conformité à la volonté de Dieu est la clé du sacrifice de la vie que font tous les baptisés. Cela comprend aussi le fait de vivre un amour authentique, de répondre aux besoins des autres, de nous réjouir avec ceux qui se réjouissent, de pleurer avec ceux qui pleurent (Rm 12, 9-21). Donc nous en sommes revenus à notre point de départ. Le sacrifice de Jésus, son sacrifice d’obéissance au Père et sa communion avec la faiblesse des pécheurs est le même sacrifice que les baptisés sont appelés à offrir comme don au monde. Et cela, parce que d’abord nous avons reçu la vie de Jésus au baptême. Et dans chaque mémorial eucharistique du sacrifice du Christ, nous sommes assumés par l’Esprit Saint dans cette puissance porteuse de vie pour que nous puissions la partager pour la vie du monde.
Il est ironique cependant que, pendant son ministère public, Jésus n’a pas toujours été regardé ou reconnu comme quelqu’un qui offrait un sacrifice agréable à Dieu. Au lieu d’être louangé pour son obéissance à Dieu, il a souvent été accusé de désobéissance, accusé d’avoir transgressé la loi de Dieu. D’ailleurs certaines personnes ont même attribué ses miracles à la puissance du prince des démons Béelzébul, au lieu de reconnaître l’intervention divine. Ces critiques ont même pris ses affirmations d’unité avec Dieu pour un blasphème au lieu d’y voir la révélation de la vérité de Dieu. Ils en ont conclu que Dieu n’était pas heureux de ce qu’il faisait, comme eux-mêmes, d’ailleurs, n’étaient pas heureux de le voir faire. Il était un danger pour la nation et pour le Temple. Car, en fait, le sacrifice d’obéissance de Jésus prenait une allure apparemment désobéissante ou irrévérente.
Il est intéressant de remarquer que très souvent Jésus a été dénoncé pour avoir violé la loi de Dieu alors qu’il faisait preuve de compassion pour les faibles, les pauvres, les malades, les femmes et les pécheurs publics. Il offrait une vie nouvelle à ceux qui étaient tenus pour impurs, en mangeant avec eux, en se mêlant à eux. Il les assurait que Dieu n’était pas distant, qu’il y avait de l’espoir en la miséricorde aimante de Dieu. Mais lui, il n’a reçu aucune miséricorde de ses adversaires, il n’a reçu d’eux que des railleries, que du ridicule parce qu’il aurait désobéi aux lois qui étaient sensées incarner la volonté de Dieu. Jésus a souffert de s’être offert lui-même pour ceux que Dieu aimait, mais il n’a jamais hésité à se sacrifier. Et ce faisant, il a dénoncé les faux dieux qu’adoraient les gens, les notions erronées de sainteté et l’aveuglement des gens sûrs de leurs vertus et qui se fermaient à l’avènement de Dieu. Le sacrifice de Jésus dévoilait le lien entre le culte des faux dieux et l’insensibilité aux besoins des pauvres. Ceux qui adorent les faux dieux se ferment aux besoins du prochain. L’idolâtre n’a pas de compassion pour les faibles. Alors même que Jésus était jugé, c’est lui en fait qui jugeait et qui condamnait le faux culte qui aveuglait les gens et qui les rendait incapables de voir le vrai Dieu et les pauvres.
L’Église qui vit de la vie du Christ, l’Église qui prétend offrir son vrai sacrifice ne peut se dérober à sa mission, à la mission de Jésus qui est de dénoncer les faux dieux adorés par notre monde. Combien de gens ont échangé le vrai Dieu pour des idoles, comme le profit, le prestige, le plaisir et le pouvoir. Ceux qui adorent des faux dieux vont aussi leur donner leur vie. En réalité, ces faux dieux ne sont que de l’égoïsme, les faux dieux c’est, au fond, moi-même. Alors pour préserver ces faux dieux, leurs fidèles offrent des sacrifices, mais la triste réalité c’est que, aux faux dieux, ce sont d’autres personnes qu’on sacrifie pour préserver mes intérêts, mon égoïsme. Combien d’ouvriers et d’ouvrières se voient refuser un juste salaire au nom du dieu appelé profit, combien de femmes sont immolées au dieu de la domination, combien d’enfants sont sacrifiés au dieu du plaisir, combien d’arbres, de fleuves, de montagnes sont sacrifiés au dieu du progrès et combien de pauvres sont immolés au dieu de la cupidité, et combien de sans-défense sont sacrifiés au dieu de la sécurité nationale.
L’Église cependant doit aussi constamment examiner sa propre fidélité au sacrifice du Christ, au sacrifice d’obéissance à Dieu et à la compassion pour les pauvres. Nous ne pouvons pas simplement dénoncer les autres pour leur demander d’examiner leur conscience. Nous devons nous aussi faire notre examen de conscience. Comme ceux qui se sont opposés à Jésus au nom de la religion authentique, nous pourrions être aveugles à Dieu et à notre prochain à cause de notre propre fierté, à cause de notre étroitesse d’esprit. Les coutumes ecclésiastiques, quand elles sont glorifiés de façon trop naïve, deviennent des obstacles au véritable culte et à la vraie compassion. Je vais vous faire un aveu : je suis troublé de voir certaines personnes qui ne me connaissent pas personnellement conclure que, parce que je suis évêque, je devrais être plus proche de Dieu qu’elles-mêmes. Mes paroles seraient les paroles de Dieu, mes désirs seraient les désirs de Dieu, ma colère serait la colère de Dieu et mes gestes seraient les gestes de Dieu. C’est beaucoup ça! Quel pouvoir! Je continue ma confession : si je ne fais pas attention, je pourrais finir par le croire et je pourrais commencer à exiger vos sacrifices, vos offrandes, vous demander vos meilleurs aliments, les meilleurs vins, de l’argent, une voiture, une maison, votre admiration et votre soumission, après tout, je suis Dieu! Et je pourrais tellement prendre de plaisir à mon statut et à tous ses avantages que je pourrais finir par devenir insensible aux besoins des pauvres et aux besoins de la terre.
Je me rappelle une expérience que j’ai faite sur la place du marché de notre petite ville d’Imus, qui est le siège de notre diocèse. Un samedi matin, je suis allé au marché pour voir le prix des marchandises et la condition des vendeurs et des vendeuses au marché. J’ai vu une femme qui vendait des fruits et des légumes dans un coin. Elle était l’une de celles qui viennent à la messe le dimanche. Il n’était que 10 heures du matin et je voyais qu’elle fermait son échoppe. Alors je lui ai demandé pourquoi. Elle m’a dit : « Je fais partie d’un groupe de prière et nous avons une grande assemblée de prière, cet après-midi, et on m’a confié certaines responsabilités, alors je veux arriver tôt. » En entendant cela, mon côté pragmatique est ressorti et je lui ai répondu : « Le Seigneur va comprendre si vous travaillez un peu plus longtemps. Il faut que vous fassiez vivre votre famille. Vous pourriez avoir besoin d’un peu plus de revenu, je suis certain que le Seigneur va comprendre.» Avec un sourire, elle m’a répondu : « Mais, Monseigneur, le Seigneur a toujours été très bon pour nous. Le Seigneur nous a toujours soutenus. Nous ne sommes pas riches, mais nous ne manquons de rien, pourquoi est-ce que j’aurais peur? » Puis, ensuite, elle m’a regardé et m’a dit : « Est-ce que vous n’êtes pas évêque? Est-ce que vous ne seriez pas supposé m’encourager dans ma foi? » Vous savez, frères et soeurs, j’étais très embarrassé. Mais pour moi c’était une expérience de culte spirituel. Moi qui suis sensé être la présence reconnue de Dieu, j’étais l’objet d’une révélation et on me montrait que je représentais mal Dieu. Cette femme toute simple qui faisait don d’elle-même à Dieu dans la confiance et dans l’amour de sa famille est devenue pour moi révélation de la présence de Dieu. Elle a apporté le sacrifice eucharistique et le culte spirituel de Jésus, elle l’a fait passer de l’élégante cathédrale au marché, à la place du marché, avec son bruit et toute sa saleté. Je suis sûr que Dieu était ravi.
L’adoration authentique
Passons maintenant à la troisième partie de la présentation. Nous allons réfléchir brièvement sur l’adoration authentique. Le culte est si étroitement relié à l’adoration qu’on pourrait considérer qu’ils ne font qu’un. Le culte spirituel de Jésus sur la croix est son geste suprême d’adoration. Dans l’Eucharistie, l’Église s’unit à Jésus pour adorer le Dieu de vie. Mais la pratique de l’adoration eucharistique fait ressortir certains traits du culte.
Nous croyons que la présence du Christ dans l’Eucharistie se poursuit après la liturgie. Nous pouvons en tout temps adorer le Saint Sacrement et nous unir à l’offrande que le Seigneur fait de lui-même à Dieu pour la vie du monde. L’adoration comporte la présence, le repos, la contemplation. Dans l’adoration, nous sommes présents à Jésus dont le sacrifice est toujours présent à nous. Le fait de demeurer en lui nous fait être assimilés dans l’oblation qu’il fait de lui-même. En contemplant Jésus, nous recevons le mystère et nous sommes transformés par le mystère que nous adorons. L’adoration eucharistique est semblable au fait de se tenir au pied de la croix de Jésus. C’est comme être témoins du sacrifice qu’il fait de sa vie et c’est être renouvelés par lui.
Outre la Vierge Marie et le disciples bien-aimé qui sont au chevet de Jésus qui mourait, le centurion romain, qui regardait Jésus, peut être pour nous un modèle d’adoration. Probablement que le centurion a commencé à surveiller Jésus à partir du moment de son arrestation jusqu’à sa mort. En voyant Jésus trahi, arrêté, accusé, humilié, mis à nu et brutalement cloué à la croix, il en a conclu, et c’est étonnant, « Cet homme est innocent » (Lc 23, 47), oui « Vraiment, c’est le Fils de Dieu » ( Mt 27, 54; Mc 15, 39). Déjà endurci par toutes les crucifixions auxquelles il avait déjà assisté, il a dû voir quelque chose de nouveau, quelque chose de différent en Jésus. À la fin d’une exécution de routine, nous voyons une profession de foi. Ce n’était pas une crucifixion comme les autres, après tout, c’était en fait une manifestation d’innocence, une révélation du Fils de Dieu. Nous apprenons de l’adoration du centurion que le sacrifice de Jésus ne peut pas être reconnu et apprécié, à moins de regarder la croix.
L’évangile de Marc nous dit que le centurion se tenait en face de Jésus. Comme tout officier, il devait surveiller le criminel Jésus. Il ne faisait que regarder Jésus. Mais la proximité physique ne suffisait pas. Il fallait qu’il soit vigilant, qu’il soit attentif pour pouvoir rendre compte de tout ce qui pourrait se passer. Nous apprenons du centurion à nous tenir devant Jésus, à être vigilants, à le regarder, à le contempler. Au début, le centurion a passé des heures à surveiller Jésus par devoir, mais il a fini par le contempler en vérité. Le Saint Esprit l’a guidé et l’a amené à confesser : Jésus est le Fils de Dieu.
Qu’est-ce que le centurion a vu? Je peux supposer qu’il a d’abord vu l’horreur, la souffrance qui a précédé la mort de Jésus. Il était un témoin visuel des tourments, de l’humiliation et de la solitude infligés à Jésus quand ses amis l’ont trahi et abandonné. Il a dû être bouleversé de voir Judas embrasser Jésus, lui donner un baiser qui était en fait une trahison. Il a découvert les mensonges fabriqués devant le Sanhédrin et il a vu Pilate céder devant la foule en dépit de la faiblesse des accusations contre Jésus. Il l’a entendu, lui, crier : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (Mc 15, 34). Le centurion a vu une cruauté incroyable de la part des amis, des dirigeants, et il a vu même le silence d’un Dieu distant. La trahison d’inhumanité, cela continue jusqu’à aujourd’hui dans toutes les crucifixions des pauvres et de la création qui se passent aujourd’hui. Nous ne pouvons que nous demander pourquoi les amis, les dirigeants, et même Dieu ne répondent pas.
Mais je crois que le centurion a vu aussi un amour incroyable en Jésus, l’amour de Dieu qui n’avait pas éloigné de lui cette coupe de souffrance et l’amour du prochain, l’amour de ses ennemis, car il demande pour eux pardon au Père (Lc 23, 34). À un bandit, il promet le paradis (Lc 23, 43). À sa mère, il offre une nouvelle famille (Jn 19, 26-27). Et au Dieu qui l’avait abandonné, il s’est abandonné lui-même : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit » (Lc 23, 46). Le centurion a vu l’amour s’épanouir dans l’aridité de l’inhumanité. Au milieu du bruit, du ridicule et des mensonges, cet homme a vu la vérité, le “oui” à Dieu, le “oui” au prochain, le “oui” à la mission. En face de la violence et de la haine, le centurion aperçoit un amour qui refuse de mourir, un amour dur comme l’acier face au mal, mais tendre face au bien-aimé. La mort est transformée en vie. Jésus a survécu à l’horreur de la croix, dans l’espérance et dans l’amour et il a vaincu le mal à force de tendresse. Il était innocent, il était de là-haut, il était le Pain de vie, il venait du Père, il est vraiment le Fils de Dieu.
J’ai visité un quartier pauvre d’une paroisse qui avait mis sur pied un programme d’alimentation pour les enfants sous-alimentés. Les parents étaient invités à superviser les repas des enfants. Alors que j’étais dans la salle assez bruyante, une adolescente qui était en train de faire manger un jeune garçon a retenu mon attention. Elle était probablement sa soeur aînée, je pensais. Alors je me suis approché d’eux et je leur ai demandé où était la mère. Elle cherchait un travail, ce jour-là, m’a-t-on répondu. Alors elle avait envoyé sa grande fille pour faire manger le petit garçon. Pensant qu’elle avait aussi faim que le petit, je lui ai demandé : « Tu as mangé? » « Non », m’a-t-elle dit, « je ne fais pas partie du programme, j’ai déjà treize ans. » J’étais très surpris par son honnêteté. Pour des enfants affamés, c’était l’occasion de tricher, personne ne regarde, une cuillère pour toi, une cuillère pour moi, Mais elle était tout à fait honnête. Je lui ai répondu : « Je vais demander à un bénévole de te donner un repas, s’il reste un peu de nourriture après que tous les enfants auront mangé. » Reconnaissante mais un peu gênée, elle a dit : « Non, Monseigneur, il y a beaucoup d’autres enfants qui ont faim dans ce village, donnez-leur, à eux, la nourriture qui restera.» J’étais plongé dans un silence profond. «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi ces enfants ont-ils faim?» Et je priais. Mais je me suis quand même exclamé : « Je ne m’attendais pas à trouver autant d’amour, d’honnêteté et de partage en ce lieu de mort. Vraiment, ce sont là des enfants de Dieu! »
Dans l’adoration eucharistique, unissons-nous au centurion pour surveiller Jésus et voir ce qu’il a vu lui-même. Prenons nous aussi le temps de regarder les victimes innocentes de notre temps. Peut-être pourrons-nous toucher Jésus, lui qui connaît leurs larmes et leur souffrances, car il les a adoptées et il leur porte l’espérance de l’amour. En regardant notre prochain qui souffre, nous pourrions être changés comme le centurion, nous pourrions nous aussi discerner la vérité et proclamer la foi. Et quand les gens regarderont comment nous portons la croix les uns des autres dans l’amour, eux aussi reconnaîtront l’innocence et ils reconnaîtront en nous le Fils de Dieu. Adorons Jésus qui a offert sa vie comme un don au Père et qui a insufflé l’Esprit Saint sur nous, pécheurs. Adorons-le pour nous, pour les pauvres, pour la terre, pour l’Église et pour la vie du monde.
Merci beaucoup !
Source : Vatican.va