Nicolas Buttet – prêtre catholique suisse, fondateur et modérateur de la fraternité Eucharistein
Une question traverse l’histoire de l’Eglise. C’est la question d’Isaac à son père Abraham : « Père, où est l’agneau du sacrifice ?» C’est-à-dire « Où est celui qui prendra ma place pour la mort ? Où est celui qui sera la victime offerte à ma place afin que je sois de nouveau enfant de Dieu ? » « Où est l’Agneau ? ». Cette question qui habite tous les fils de la promesse qui, depuis Abraham, cherchent Celui qui les fera entrer dans l’authentique Terre promise, Dieu y répond par la bouche de Jean le Baptiste. « Voici l’Agneau de Dieu. » Immédiatement, Jean et André suivent l’Agneau et lui demandent : « “Maître, où demeures-tu ?” “Venez et voyez”. Ils allèrent donc et demeurèrent avec lui ce jour-là. »
« A la dixième heure »
Dans son évangile, saint Jean ne nous donne qu’un seul détail sur cette journée : « C’était la dixième heure. » Vingt siècles plus tard, cela ne semble pas nous intéresser. A la fin de son évangile, pourtant, dans le récit de la Passion du Christ, Jean évoque à nouveau les heures ; on comprend alors que ce « détail » est en réalité la clé d’interprétation de tout le texte : à la sixième heure, Jésus est mis en Croix, à la neuvième heure, il remet l’esprit entre les mains de son Père et à la dixième heure, son cœur est transpercé. Ce détail signifie donc : « A la dixième heure, vous verrez l’Agneau qui vous réconcilie avec Dieu, Agneau manifesté à travers le cœur transpercé de Jésus. » Où est-il, aujourd’hui, ce cœur de Jésus, palpitant, vivant, ouvert pour nous en état d’effusion de l’Esprit comme il était sur la Croix il y a 2000 ans ? Au Saint-Sacrement de l’autel. Toutes les visions de Marguerite-Marie étaient liées à l’eucharistie et l’instauration du culte au cœur du Christ s’est développée en lien avec le culte au cœur eucharistique du Christ.
La Nouvelle Pentecôte
Nous aussi, nous pouvons venir et voir à la dixième heure qui est le Christ présent au Saint- Sacrement. A la dixième heure, se produit une Pentecôte. Jean-Paul II dit que l’eucharistie est une Pentecôte permanente. Saint Jean situe bien cette Pentecôte à la dixième heure lorsque le jour de la fête des Tentes Jésus dira : « Qu’il vienne à moi, celui qui a soif, car il est écrit que de son sein couleront des fleuves d’eau vive… Il parlait de l’Esprit qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui. » Du cœur du Christ ne cesse de jaillir l’Esprit Saint : l’Esprit Saint est Celui qui prie en nous en gémissements ineffables car nous ne savons pas prier comme il faut ; il intercède auprès du Père pour nous, pour notre sanctification (saint Paul). L’Esprit Saint est celui qui nous donne d’entrer en communion d’amour avec un Dieu Père.
L’Esprit et l’Epouse
Ainsi, l’adoration eucharistique est le lieu du renouvellement spirituel du peuple chrétien, de l’authentique vie spirituelle qu’est l’esprit d’enfance. C’est comme l’aboutissement de trente- huit siècles d’attente : « Où est l’Agneau du sacrifice ? », « Venez et voyez », « A la dixième heure ». Il est là, présent constamment. Il est la réponse aux enfants de la promesse cherchant à découvrir la joie (Isaac veut dire : la joie). Nous nous découvrons enfants d’une promesse extraordinaire accomplie en Jésus dans le don de l’Esprit Saint depuis le cœur ouvert de l’Agneau présent sur la Croix et au Saint-Sacrement. L’adoration était donc un trésor prévu par Dieu depuis les origines ! Bossuet, face aux attaques contre l’adoration eucharistique, développe plusieurs arguments dont celui-ci : « Saint Paul nous dit que le corps de l’Epoux appartient à l’épouse, or, l’Eglise qui est l’épouse du Christ dispose de ce corps en le donnant à voir à ses enfants de façon à ce qu’ils puissent vivre de cet amour nuptial. » Les noces entre Dieu et l’humanité sont scellées dans le sang de l’Agneau et Dieu apporte en dot l’Esprit Saint.
L’adoration : une nécessité !
Adorer le Christ au Saint-Sacrement est authentiquement et radicalement charismatique. Nous y sommes à la source de l’effusion de l’Esprit Saint. L’Esprit jaillit du cœur ouvert du Christ et c’est de ce cœur ouvert que l’univers entier va être renouvelé. Le Père Jules Chevalier, fondateur des missionnaires du Sacré-Cœur d’Issoudun disait : « Du cœur ouvert du Christ, je voyais jaillir un monde nouveau, celui de l’amour. » Ce n’est pas pour rien si Jean-Paul II a tellement encouragé l’adoration eucharistique et qu’il s’est réjoui de toutes les paroisses d’adoration eucharistique perpétuelle, appelées « buisson ardent », en pleine expansion à Rome (dans son diocèse) et en Italie. Il sait bien que la Nouvelle Pentecôte et le triomphe du cœur immaculé de Marie sont liés à l’adoration eucharistique, au retour filial de l’humanité à Dieu. Et ce retour n’est possible que dans l’Esprit Saint. « C’est par l’Esprit que vous êtes enfants de Dieu. » (saint Paul). C’est parce que vous participez à l’Esprit qui unit dans l’amour le Père et le Fils que vous êtes réellement fils adoptifs dans le Christ. « Personne ne peut crier “Abba, Père” si ce n’est par la puissance de l’Esprit Saint. » nous dit saint Paul.
Et le retour du cœur immaculé de Marie, c’est justement un cœur filial, disait le cardinal Ratzinger, dans le commentaire du troisième secret de Fatima. Un cœur d’enfant prépare l’avènement de la civilisation de l’amour.
L’adoration eucharistique est donc le moyen nécessaire, indispensable et proportionné à la construction de la civilisation de l’Amour. L’adoration n’est donc pas une dévotion comme une autre : elle est capitale. Qui a compris le mystère de l’œuvre de Dieu dans l’histoire de la rédemption comprend la nécessité de l’adoration eucharistique.
QUESTIONS
L’adoration, une thérapie ?
L’adoration eucharistique peut être une excellente thérapie à l’envahissement de l’imagination qui amène à une perte de concentration, de présence. Certes, sa finalité première est de répondre au premier des commandements : « Tu aimeras le Seigneur Dieu de tout ton cœur, de toute mon âme, de toute ta force. » Mais le fait d’être tendu vers Dieu aide profondément à réordonner mon imagination.
Petits moyens pratiques
Pendant ce temps d’adoration, dès que l’on commence à ressasser ses difficultés, regarder vers le Saint-Sacrement. Cette simple démarche décentre de soi.
Oraison ou adoration ?
Dans le contexte actuel, le risque est grand, à travers l’oraison, de faire une expérience du soi plutôt qu’une rencontre avec Dieu. L’humanité est tellement blessée et les vrais maîtres spirituels sont tellement peu nombreux aujourd’hui que la déviation peut être rapide.
Personnellement, je constate que beaucoup de ceux qui font oraison ont de la peine à traverser les couches du moi, du sous-moi, du sur-moi… Souvent, ils s’arrêtent à la troisième croyant rencontrer Dieu. L’oraison qui est ce commerce intime avec Dieu dont on se sait aimé et que l’on veut aimer en retour (Thérèse d’Avila) n’est pas si facile à vivre dans un contexte de confusion et de recherche de non altérité : « Je suis Dieu et Dieu est moi ». Le danger est grand aussi, dans un tel contexte, de confondre une expérience émotionnelle ou psychologique avec une expérience spirituelle. On applique les réalités spirituelles mises à jour par de grands maîtres à une expérience psychologique. Par exemple, je peux croire que je vis une nuit de la foi alors qu’il s’agit simplement d’une purification des sens. Je peux ainsi peu à peu tomber dans l’illusion la plus totale. Dans la déstructuration actuelle du cœur de l’homme et dans la confusion émotionnelle dans laquelle nous sommes, l’oraison est devenue un exercice périlleux…
Actuellement, comme une marque providentielle de la délicatesse de Dieu, l’adoration eucharistique nous est donnée comme un chemin privilégié permettant cette vie d’union à Dieu sans confusion. Le cœur à cœur avec Dieu devient possible grâce au face à face de l’adoration. Le Dieu Trine qui m’habite, plus intime à moi-même que moi-même, je peux le rejoindre grâce à la pédagogie de l’adoration. Elle me permet de découvrir Dieu comme le
Tout Autre, dans une relation objective avec Dieu tel qu’il est en lui-même car tel qu’il s’est révélé.
L’adoration est le chemin des pauvres. On peut la rapprocher de l’enfance spirituelle.
P. Nicolas Buttet, article paru dans la revue « Il est Vivant »